La nuit et le jour

Certes, cette année, le comité d’Ô Gravel ne me remettra pas le trophée pour récompenser mon assiduité comme cela a été le cas l’année dernière et c’est d’ailleurs une bonne chose qu’il change d’étagère pour encourager un autre membre. Mais il ne sera pas dit que Jacquouille la Fripouille a baissé les bras.

Après ma déconvenue de la veille, j’ai passé la soirée d’hier à échafauder un plan B afin de rejoindre mes amis au Bézy et passer au moins une journée sur les deux prévues en leur compagnie. J’avais plusieurs solutions dont, celle de partir en soirée et dormir à la belle étoile au plus proche pour ne pas déranger le sommeil de ceux qui passent la nuit sous la tente. L’autre alternative qui aura finalement ma préférence, consistait à partir le plus tard possible pour arriver sur place juste avant leur réveil et prendre le petit déjeuner avec tout le groupe en tenant compte de la distance, du (petit) D+ en fin de parcours, de la nuit noire et de sa probable fraîcheur et peut-être même d’un éventuel incident mécanique ou physique comme par exemple une irrépressible envie de dormir en cours de route.

Pour être en mesure d’enchaîner avec les 100 kms et les terribles pourcentages de l’étape prévue pour la journée, il faut évidemment que j’en garde un peu sous le pied alors, j’ai décidé de passer une bonne nuit dans mon lit et de partir vers 3h00 du matin, ce qui me laisse entre 3h30 et 4h30 pour couvrir les 65 premiers kilomètres.

Sauf que du sommeil, il n’y en a pratiquement pas eu. J’ai un peu trop traîné car j’ai l’habitude de me coucher tard, voire très tard. J’ai mis très longtemps à fermer les yeux et il a vraiment fallu que je me fasse violence pour sauter hors du lit quand le réveil a sonné à 2h00. On dit souvent que c’est le premier pas qui coûte et effectivement, le temps de boire un bol de thé et d’avaler un tartine et je me sens d’attaque.

La bonne nouvelle, c’est qu’il ne pleut toujours pas donc je pars pratiquement à l’heure prévue. La température est bien tombée et j’hésite à me couvrir davantage mais finalement j’opte pour un simple coupe-vent enfilé par-dessus mon maillot à manches courtes et je reste en cuissard court. La nuit est parfaitement noire, sans le moindre petit rayon de lune. Les premiers tours de roues sont donc prudents mais je prends rapidement confiance car il n’y a absolument personne sur les routes à cette heure-ci. Pas question de m’aventurer seul le long de l’Hers pour rejoindre Balma. Du gravel, j’en ferai bien assez tout à l’heure et je ne veux pas traîner. Je file donc bon train pour rejoindre Ramonville et le Canal du Midi.

J’ai une petite pensée pour mon ami Julien qui m’a converti aux sorties nocturnes. On en aura fait quelques unes, tous les deux, bien plus qu’avec Ô Gravel. Ce n’est pas non plus la première fois que j’en effectue une en solo et je ne suis pas inquiet car je connais parfaitement les bords du canal pour l’avoir emprunté de nombreuses fois. Les nocturnes font peur à beaucoup de gens et c’est vrai qu’il y a une dimension particulière à presque tout. Une branche en travers du chemin devient un serpent, un bosquet ressemble à un dangereux criminel qui guette votre passage blotti dans la pénombre : l’imagination travaille à plein régime et presque tous les sens sont en éveil, la vue, l’ouïe, l’odorat et même le toucher quand il fait froid.

Je file à bonne allure à la lueur de mon phare que je décide d’économiser en le passant en mode éco. Théoriquement j’ai une autonomie largement suffisante pour rouler toute une nuit d’hiver en restant majoritairement à 800 lumens et en basculant uniquement sur 1100 lumens dans les endroits les plus sombres et les plus délicats. De plus, mon phare Spanninga Thor offre un champ de vision très large : peu de chances donc que j’aille me baigner dans le canal cette nuit.

Au fur et à mesure que j’avance, je sens tout de même le froid me gagner : la sueur et le vent frais ne font pas bon ménage. Il est tentant de s’arrêter et de déballer le sac de couchage pour faire une micro sieste sur un des nombreux bancs que je dépasse. Le seul fait d’y penser me donne encore plus envie de me réchauffer et je redoute d’avoir sommeil car j’ai finalement très peu dormi. Autrefois, j’étais très résistant au sommeil mais depuis un an ou deux, je pars parfois sans même m’en rendre compte.

J’ai très vite l’occasion de me réchauffer un peu car la sortie du canal n’est plus très loin à proximité de Villefranche-de-Lauragais et je poursuis ensuite ma route sur la D635. C’est la première fois que j’emprunte cet itinéraire mais la route est large, parfois éclairée en traversant Montclar-Lauragais, St-Michel-de-Lanès et enfin Salles-sur-l’Hers. Je quitte la Haute-Garonne pour entrer dans l’Aude et la route s’élève un peu plus. Je n’ai croisé que deux voitures et une camionnette m’a dépassé : tout est parfaitement calme et à part quelques lièvres et une bonne dizaine de ragondins regroupés au même endroit, pas le moindre signe de vie. La dernière rampe avant le Bézy est à plus de 8% et les muscles sont froids mais ça passe bien, ce qui me met en confiance pour la suite.

En arrivant au gite, tout le monde dort encore : je ne connais pas les lieux, le portail d’entrée résiste jusqu’au moment où je comprenne qu’il s’ouvre sur l’extérieur et le panneau me prévenant de faire attention au chien me dissuade dans un premier temps d’entrer. Mais le froid me gagne et je décide de rentrer et de déballer le sac de couchage, le sac à viande et le tapis de sol afin de piquer un petit roupillon et de me réchauffer. Pas le temps : à peine installé, Thierry m’appelle pour me demander où je suis : baisses les yeux, mon ami et tu devrais voir la lueur de mon téléphone cinq mètres sous toi.

Quelques minutes plus tard, je retrouve donc tout le monde pour prendre un bon petit déjeuner en leur compagnie, non sans avoir pris le temps de saluer nos hôtes, Amy et James, et de discuter quelques instants avec eux en Anglais.

Début de la deuxième étape à 9h00, le temps de plier bagages pour tout le monde. Sont donc présents, honneur aux dames, Charlotte, Astrid et Chloé et dix beaux et vaillants mâles en les personnes de Thierry (notre vénérable président), Edouard, Julien, Pascal, Marcel, Luc, Maurice (le doyen du peloton : 72 ans et toujours vert, svp), Elie et Mathieu. Je ne connais pas les deux derniers et je n’aurai pas beaucoup d’opportunités de discuter avec eux car ils seront devant toute la journée, parmi les plus forts.

Ca commence très très fort dès les premiers hectomètres avec trois énormes raidards. Les muscles sont encore tétanisés et je dois poser pied à terre près du sommet du premier, le souffle court et l’équilibre précaire sur un sol qui ne demande qu’à se dérober sous mes roues. Ce ne sera pas la dernière fois, d’ailleurs tout le monde a été obligé de descendre de vélo à un moment ou à un autre, même Edouard, assurément le plus costaud de nous tous.

Puis graduellement, je trouve mon rythme et mes marques : mon ami alsacien Phillipe D. qui lit tous mes reportages s’amusera certainement de lire que je lui donne désormais raison quand il affirme qu’il faut rester à la limite de sa zone de confort pour performer. Je découvre ainsi qu’en mettant deux dents de moins, je vais plus vite que sur le grand pignon. Mouliner prend autant d’énergie, voire plus, que de tirer un plus gros développement et il reste toujours un peu de réserve pour donner un coup de reins quand il le faut. Je suis quand même surpris de pouvoir suivre Pascal qui m’a montré qu’il est habituellement bien plus fort que moi comme sur la Transgarona. Marcel est un peu à la peine, tout comme Astrid et même Julien me dit ne pas avoir les jambes. Charlotte, elle, a choisi d’aller à son rythme, un peu en retrait : c’est sa façon de rouler et ça se respecte.

Les différences de niveaux sont relativement importantes mais au sein d’Ô Gravel, ce n’est vraiment pas un problème car on attend tout le monde et je tire vraiment un grand coup de chapeau à Edouard et à Thierry qui se relaient pour accompagner les autres au lieu de caracoler devant. Au début j’étais souvent parmi les derniers, puis me sentant aller de mieux en mieux au fil des ascensions, je me suis progressivement rapproché du milieu du peloton, en compagnie de Chloé, de Pascal et parfois d’Astrid et de Marcel. J’ai aussi accompagné Charlotte sur quelques kilomètres pour ne pas la laisser seule et échanger un bon moment avec elle.

C’est ainsi que nous rejoignons le Col de la Louvière au sommet duquel nous pouvons admirer le magnifique Lac de la Ganguise et sa base nautique, très prisée par les véliplanchistes, en nombre aujourd’hui. Ce n’est pas un hasard : Thierry nous fait toujours découvrir ou parfois redécouvrir les plus beaux et les plus inattendus endroits dans les conditions tout aussi surprenantes. La trace d’aujourd’hui est difficile mais c’est un véritable régal. Le fait de n’avoir à me plaindre d’aucun bobo habituel comme des genoux récalcitrants et des lombaires fragiles contribue à ce que je prenne autant de plaisir que je ne souffre.

Après une nouvelle halte pour attendre tout le monde, nous repartons à l’assaut d’une énième côte avant de redescendre pour rejoindre Avignonet-Lauragais où nous nous perdons un peu en suivant Edouard, parti dans le centre du village à la recherche d’un endroit où se ravitailler. La faim commence à se faire sentir et nous finissons par rejoindre le premier groupe à une boulangerie où tout le monde s’installe en terrasse pour déjeuner. J’engloutis une fougasse au jambon et au fromage, un éclair au café et je descends une bouteille de coca alors que je n’ai presque rien bu de la journée. Décidément, on ne perd pas facilement les mauvaises habitudes !

Cet arrêt a finalement l’effet contraire de ce que j’en attendais : au lieu de reprendre quelques forces, je me sens soudain ballonné et un peu moins motivé pour poursuivre la trace proposée par Thierry car durant le repas, un petit groupe composé d’Astrid, de Chloé, de Pascal et de Marcel choisit de rentrer par le canal. Je réalise soudain que j’en suis déjà à largement plus de 100 kilomètres depuis ce matin et que le plus dur reste à venir avec des pourcentages dépassant 20%. Je décide donc au dernier moment de me joindre à eux, estimant que ça suffira pour aujourd’hui. Les 60 derniers kilomètres sont avalés à un rythme qui convient à tout le monde, ni trop vite, ni trop lentement. Je me sépare à grand regret du groupe à la hauteur de Ramonville car cette dernière ligne droite a été l’occasion d’échanger dans la bonne humeur avec celles et ceux avec qui j’ai finalement passé l’essentiel de cette deuxième étape.

Au final, 170 kilomètres au compteur et à peine plus de 1200 m de dénivelé soit une longue et belle journée de solitude et de convivialité mélangées. Un grand merci à tout le monde avec une mention spéciale pour Thierry qui nous a régalé(e)s !

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Trace et profil

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Relevés GPS

Départ
15/10/2023 03:16:16
Durée de déplacement
09:30:24
Durée totale
13:23:53
Arrivée
15/10/2023 16:40:09
Distance
170.57 kms
Dénivelé positif
1205 m
Vitesse moyenne
17.9 kms/h
Vitesse maximale
83.4 kms/h
Altitude minimale
126 m
Altitude maximale
351 m
Puissance
127 W
Dépense énergétique
4353 kJ

Conditions

Météo
Nuageux
Température
14 °
Humidité
75 %
Vent
13.5 kms/h
Direction du vent
NNO

Autres participants

Thierry SCHIAVI

Edouard PAUX

Julien ARADES

Pascal CHAMPENOIS

Marcel FISTON

Luc DUZAN

Maurice FAUVEL

Bruno CAUSSINUS

Chloé GUERRIC

Astrid CALISTA ERICKSON

Charlotte DAGEVILLE

Vélo utilisé

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